Les monstres de mon couloir

Depuis la mort de mon grand-père, l'héritage et ensuite la mort de ma grand mère, nous connaissons le vrai visage des personnes de la famille. C'est-à-dire, que nous avons vu certaines brebis se transformer en loups, voire en tyrannosaures, mais nous avons aussi vu certains loups solitaires se révéler être de très bons guides et même avoir un très grand coeur.

Nous avions donc laissé nos quatre soeurs dans les années 50.

Donc nous voilà avec deux veuves et deux divorcées. Entre temps Mamy est revenue et s'est installé à Bruxelles.

Côte d'Ivoire, quelque part au début des années 80.

Pour pouvoir s'installer en Afrique durablement, il faut des papiers et généralement c'est plus facile quand l'enfant est né sur place. Mon père fait donc jouer de ses relations pour m'établir un fau acte de naissance. De toutes façons les autorités locales n'ont aucun moyen de savoir que je ne suis pas née à Katiola et ils n'irons certainement pas vérifier en Belgique pour savoir si j'ai un autre acte valide. Ils ne s'étonnent pas non plus que la naissance soit déclarée si tard (environ deux ans après) car c'est chose courante là bas.

La vie commence à prendre forme en Côte d'Ivoire. Mon père développe des fermes, des élevages et tente d'apprendre à ses compatriotes les rudiments du commerce de bétail. Ma mère s'occupe de moi et pense de plus en plus à créer un pâtisserie. Moi je commence à avoir la plante des pieds dure à force de courir pieds nus dans les graviers. Nous avons un chien de garde, Bouboule, qui passe le plus claire de son temps à mordre les chevilles des motocyclistes.

Le temps passe vite. Ma mère, grande blonde aux yeux bleus s'habitue sans trop de peines à la chaleur, aux insectes, à la nourriture et aux Ivoiriens. L'aide humanitaire et les projets que développe mon père connaissent un certain succès. Malheureusement la mentalité des autochtones n'est résolument pas adaptée au progrès tel que les européens le conçoivent. Mais ce n'est pas ici le débat qui nous occupe, j'en parlerais peut-être plus tard. C'est ainsi que mon père va de micro victoire en grandes désillusions. Lui qui avait intégré jusqu'à la moelle les idées et valeurs des "pères blancs" qui lui avait permis d'étudier en Belgique. Lors d'une de ses visites de contrôle, il avait découvert que la ferme ultra moderne et les centaines de têtes de bétail, qu'il avait mis à disposition des villageois, tombaient en ruine après seulement 6 mois d'exploitation. Les fermiers avaient vendu le bétail et avaient confondu recettes et bénéfices, ils avaient claqué toute la recette et s'était acheté des télévisions et des sonos. Les dernières bêtes pourrissaient sur pied et personne ne comprenait pourquoi Edouard était si fâche.

La première année d'expatriation de ma petite famille touchait à sa fin. Le bilan était assez positif malgré quelques accrochages. Un jour en rentrant d'une conférence mon père commença une petite grippe. Le premier jour, il eu un peu de fièvre. Le second jour il en eu beaucoup plus et du passé la journée au lit. Le troisième jour on appela un médecin car son état devenait inquiétant. Le quatrième jour il mourus dans la salle de réanimation d'une clinique.

Mamie ne me parla jamais de l’Afrique, ni de notre voyage. Ma mère me raconta plus tard que ma grand-mère avait aimé la côte d'Ivoire et que si elle avait pu, elle y serait restée. Hormis une piqûre d'insecte qui avait dégénéré, ma grand-mère n'eut à se plaindre de rien. Le voyage vers la Belgique fût sans encombres et ma mère ne tarda pas trop à nous rejoindre. La famille de mon père ne lui avait laissé que quelques affaires et s'était empressé de se jeté sur les meubles et de réclamer les économies de mon père. Ma mère ne dut son salut qu'à une juge qui dans un sursaut de bonté avait déclaré que les économies qu'avait pu faire mon père depuis qu'ils étaient mariés lui revenait de droit. Ainsi elle avait pu faire le nécessaire et ramener avec elle quelques mâles. Quand mes parents étaient partis, ils avaient tout laissé, ma mère avait quitté son boulot et ils n'avaient pas jugé nécessaire de garder un pied à terre en Belgique. C'est donc chez ma grand-mère que nous dûmes nous installer dans les premiers temps. Ma mère entrepris de chercher du travail, mais à 45 ans la chose s’avéra impossible, d'autant plus que la somme qu'on lui proposait était à peine plus élevé que les allocations de chômage. Elle entrepris alors les démarches pour obtenir une pension de veuve et d'orpheline mais s'étant mariée en Côte d'Ivoire et mon père ne m'ayant pas reconnue en Belgique, nous n'avions pas le droit à ses allocations. Voilà qu'encore une fois je dus changer de nom et de prénom. A la naissance j'ai porté le nom de famille de l'ex-mari de ma mère (puisqu'ils étaient encore légalement mariés), ensuite il fit un désaveu de paternité et mon père me reconnu en Côte d'Ivoire. Et maintenant qu'il était mort, je n'étais plus la fille de personne. "Née de père inconnu", voilà ce qui figure sur le nouveau papier, à côté du nouveau nom. Je porte maintenant le nom de jeune fille de ma mère, celui de mon grand-père. Je suis la dernière de son nom.

Mot de passe oublié ?